AUJOURD’HUI, ON DONNE LA PAROLE À …
… Pierre-Michel PRANVILLE (Mémoires courtes d'un PNC lusophone, retraité et nostalgique)
Voici trois histoires courtes et un témoignage de mon attachement à la ligne Paris Lisbonne, que j’ai si souvent faite, ce qui m'a permis de vous rencontrer tous à l'escale et d'apprécier votre professionnalisme, et de bénéficier de votre amitié.
- L'homme le plus grand du monde:
Un matin ensoleillé à l'aéroport de Lisbonne, se range au pied de l'escabeau du Boeing 727 un curieux minibus VW au toit très surélevé. Nous avions été prévenus par l'escale que nous aurions un VIP particulier, l'homme le plus grand du monde. De mémoire, c'était un citoyen du Mozambique d'une trentaine d'années, à la peau plutôt claire, qui mesurait 2,47 mètres. Partout, il devait se déplacer dans un véhicule spécialement conçu. Nous lui avions réservé le premier siège coté couloir de la cabine Affaires du B-727. Son installation à bord a été laborieuse : hauteur de la porte avant 1,80 m, hauteur du couloir 2 m. C'était un véritable supplice pour lui de se plier pour rejoindre son siège. Une fois assis, sa tête touchait le plafond. Et ses pieds débordaient dépassant la profondeur du galley avant ! Ce grand garçon, proche de la trentaine, paraissait rêver en permanence et s'exprimait avec une douceur qui contrastait avec sa stature. On s'attendait plutôt à une voix grave de géant de dessin animé. En fait de voix grave et de géant, c'était plutôt son "infirmière" qui en imposait. Véritable adjudant-chef, elle prenait tout en main. Pendant le vol, elle m'a expliqué que ce grand garçon du Mozambique était transporté de congrès en réunions médicales, que sa taille excessive s'accompagnait d'autres déficiences qui entrainait qu'il soit assisté en permanence. Je me souviens que la triste vie de cet homme grand a profondément ému l'équipage.
- Navette spatiale Air France entre Paris et Lisbonne :
En route vers Lisbonne, le commandant de bord du Boeing 737 annonce le survol de Nantes et la possibilité de traverser une zone de turbulences au dessus des Asturies. Nous commençons le service du repas, chaud à l'époque, avec apéritif, plateau, digestif, bref, encore le grand jeu, même en cabine Économique. Le ciel reste clair une fois atteintes les côtes espagnoles. Tout le PNC est en cabine et sert le café au petit plateau. Puis soudain, trois secousses et un grand plongeon de l’avion. Les hôtesses et moi montons au plafond, avec les quelques passagers assis qui n’avaient pas attaché leur ceinture. Mais c'est que nous n'avons pas été les seuls à subir cet état d’apesanteur. De l’arrière de la cabine où je me trouvais, j'ai vu s'élever bien nettement au dessus des dossiers des sièges 100 boules de café qui sont restées suspendues un infime instant, mais suffisamment pour avoir gardé cette vision, qu'enfant, nous avons tous découvert dans Tintin objectif Lune, ou aujourd’hui, en regardant aux actualités les images des astronautes de la NASA, celle de liquides flottant dans l'espace En 10 000 heures de vol, avec quelques traversées de typhons en Asie, ou des survols mouvementés des Andes, je n'avais jamais connu une turbulence pareille, le vrai trou d'air. Il a fallu que je vive cette expérience d'apesanteur sur Lisbonne ! Heureusement, tout c'est bien terminé. Les passagers sont à peu près retombés sur leurs sièges, les PNC, à la souplesse légendaire, ne se sont rien cassé. Par contre, le café, lui, a eu du mal à retrouver le chemin des tasses quand l'avion est remonté aussi brutalement qu'il était descendu ! Je ne vous dis pas l'état de la cabine et la tenue des clients à l'arrivée à destination.
C'est vrai que, personnel de bord, il nous arrive de rencontrer des personnalités politiques, ou du monde des arts ou du spectacle. Madame Vieira da Silva est une des ces rencontres, particulièrement émouvante. Je connaissais son œuvre que j'admire beaucoup. Elle voyageait de Lisbonne à Paris. Je me souviens qu'elle avait été accompagnée jusqu'à l'avion par Madame Eanes, l'épouse du Président de la République. Elle s'est installée à un des hublots de droite, seule passagère de la cabine Affaires du B-727 ce jour là. J'étais assez intimidé et sa discrétion pendant le vol ne m'encourageait pas non plus à engager un échange. Comme nous survolions le bocage nantais avec ses lignes entrecroisées qui forment comme de petits carreaux étirés jusqu'à l'horizon, je lui ai demandé si tout se passait bien, et je me suis lancé: «Madame, j'admire ce que vous faites». Elle me répond «Oui, c'est gentil à vous». Et je continue «Madame, à chaque fois que je survole ce paysage de Nantes, je pense à vous». « Oui, c'est gentil, et pourquoi, jeune homme?». «Madame, s'il vous plait, regardez ce que nous survolons, les lignes, les cases, cette nature vue d’en haut ressemble à vos tableaux». Elle me répond « Comme c’est intéressant, jeune homme, mais dites-le à l’envers, c’est mon travail qui peut, peut-être, ressembler à cette nature, pas le contraire. Et puis, je vais vous confier quelque chose, pendant les vols, je ne regarde pas, je n’aime pas beaucoup l’avion. Mais j’y prêterai plus attention, c’est promis». Sa gentillesse et son humilité m’ont confondu.
- Témoignage d’une mission impossible :
Peu après ma promotion dans l’encadrement PNC, un de mes collègues du Service Produit Vol qui connaissait mon intérêt pour le Portugais me demande de lui proposer une nouvelle traduction des annonces PNC en portugais car elles venaient d'être totalement modifiées. Avec une contrainte terrible : il n'y aurait qu'un seul manuel pour le portugais du Portugal et le portugais du Brésil. Enthousiasmé par ce travail qui sortait de l'ordinaire, j'ai bien sûr accepté. Mais je n'avais pas vraiment estimé combien la contrainte d'un seul livret pour le portugais et le brésilien était difficile à surmonter. Je me suis fait conseiller par ma belle sœur, Manuela Mogo Demaret, professeur de portugais, mais rien n'y fit. Cadeiras ou poltronas, aeromoças ou hospedeiras, quel mot choisir qui ne soit connoté ni trop mère-patrie ni trop luso-tropical. Que d'hésitations, que d'angoisses, et de nuits blanches. Nous avons fait de notre mieux pour sortir un livret compréhensible et surtout lisible par tous, sur Lisbonne ou sur Rio, par des PNC débutants en portugais comme par d'autres plus expérimentés. Mais voilà, à force de vouloir faire plaisir à tout le monde, on ne plait à personne. Et nombreuses furent les remarques justifiées de nos escales et les observations parfois amusées mais toujours encourageantes de nos passagers. Vanité, vanité… Bon, depuis, Air France a changé son fusil d'épaule plusieurs fois puisqu'il y eut d'abord uniquement du brésilien dans nos annonces, priorité étant donnée au long courrier, et, enfin, depuis quelques années, un manuel long courrier avec du brésilien et un manuel moyen courrier avec du portugais. Aujourd'hui, souvent, ce sont des annonces préenregistrées qui informent des différentes phases du vol. L'accent est parfait, la grammaire excellente, mais je suis sûr que nos clients, comme moi, regrettent le naturel qu'apportaient une expression hésitante ou un accent tonique mal placé. Saudades, saudades...