OFFICIER NAVIGATEUR : UN MÉTIER DISPARU MAIS PAS OUBLIÉ
Il y a un peu plus de 20 ans, s'effectuait le dernier vol dont la composition d'équipage comportait la présence d'un officier navigateur. Aujourd'hui, d'un coup d'œil aux écrans informatiques du poste de pilotage, commandant de bord et officier-pilote connaissent avec une précision parfaite la position de leur appareil. Satellites et calculateurs sont d'une fiabilité à toute épreuve. Tout n’a pas été toujours aussi simple dans la navigation aérienne. Guider un aéronef à bon port fut un challenge, une aventure, un métier enfin.
Les aviateurs utilisèrent d'abord les instruments plusieurs fois centenaires de la navigation maritime : le sextant, la boussole, la règle à calcul et… le pifomètre. Mais la vitesse des avions, l'absence d'horizon visible, les turbulences, entrainèrent rapidement le perfectionnement des outils et des méthodes. Dans les années 30 apparurent le sextant à bulles (le Favé) et les premières tables de calcul rapide (Bertin). Nombre de ceux qui s'illustrèrent dans l'épopée aérienne civile, débutèrent dans la carrière comme navigateurs : Jean Dabry, Maurice Bellonte, Paul Comet et tant d'autres.
La 2ème guerre mondiale allait faire gagner en simplification et en précision les outils de la navigation aérienne. Les milliers de navigateurs formés aux États-Unis, Canada et Angleterre, apprirent à raccourcir, grâce à de nouvelles tables, la durée des calculs nécessaires aux points astronomiques, sur des machines qui volaient tout de même à 450 km/h. Six marques de sextants furent employées par les équipages alliés, la mise au point du “Loran” permit de baliser la moitié du globe, la “navigation grille” autorisa dès cette époque, le survol sécurisé du pôle.
La paix revenue, le développement rapide des lignes long et très long-courrier, grâce aux Constellation en 1947, des Super Constellation et Super Starliner, puis l'arrivée en flotte des Boeing 707 en 1960, entrainèrent l'embauche et la formation de nombreux officiers navigateurs. Sur les vols transatlantiques, le navigateur devait, tous les 10' de longitude, communiquer au contrôle océanique les indispensables reports de position. Il effectuait les visées, surveillait les caps, vérifiait la route, calculait les dérives, effectuait les points “Loran”, prévoyait les droites astronomiques… pour indiquer au commandant de bord, sur un petit carton, le cap à tenir, l'heure de passage en un point géographique précis, le temps de vol restant, le point de non retour etc. … un travail minutieux, rigoureux, indispensable. Les vols directs de très longue durée vers los Angeles et Tokyo, exigeaient la présence de deux d'entre eux dans les cockpits. A la fin des années 60, ils furent au total plus de 120 ...
Malheureusement pour ces grands professionnels, c'était sans compter avec la NASA qui, pour maintenir avec une précision millimétrée, la route des fusées intercontinentales vers leurs objectifs, mit au point l'instrument directionnel parfait : la plate-forme à inertie INU. Celle-ci fit, en 1968 une entrée fracassante en termes d'emploi, dans les cockpits des B-707, rendant du même coup caduc, un beau métier chargé d'histoire et de noblesse.
On n’arrête pas le progrès, dit-on. Cet axiome est d'autant mieux accepté quand il ne vous concerne pas. Air France organisa, pour certains de ces excellents serviteurs auxquels un système automatique venait de couper brutalement les ailes, une reconversion vers d'autres métiers : officier mécanicien ou pilote ; on proposa aussi à certains de prendre une retraite anticipée.
Jeune attaché de presse, j'eus le privilège, en 1960, d'accompagner les invités de la Compagnie sur le vol inaugural Paris-Tokyo par le pôle en B-707. Invité au poste, j'avais observé le travail patient, minutieux, précis, du navigateur qui, derrière le fauteuil du commandant Lesieur, se colletait avec sa règle à calcul, ses cartes et son sextant, pour indiquer la bonne route à suivre. Je suis heureux, aujourd'hui, par ce court article, de lui rendre un hommage mérité, ainsi qu'à tous ses anciens collègues.
- Source : allocution de Miche Darde, officier navigateur, adressée au Président Marceau Long, à ses pairs et à ses collègues, le 20 février 1986 à l'Aéro-club de France.
- Conseiller technique de la rédaction pour cet article : Jean Fournier
- Auteur : Jean Mauriès
- Publié : “Présence ” nº 147 - Décembre 2006
- Archives : Noël Bonnet, escale Air France - Lyon, 1967/1997.
- Photos : “Présence ” et Internet