De la CARAVELLE à l 'AIRBUS 380…
Le 27 mai 1955, Caravelle quittait discrètement le sol après plusieurs essais de roulage à grande vitesse, sous le seul regard des personnels de l'usine Sud-Aviation assistant au décollage du premier avion à réaction civil français, témoignant du renouveau et de la créativité des ailes françaises.
Événement historique, à l'exception de l'avion anglais De Havilland Comet (Premier vol en 1949) dont l'exploitation avait du être arrêtée rapidement suite à des explosions en vol dues à des problèmes structuraux. Caravelle, conçue par Sud-Aviation, était le premier moyen-courrier à réaction mis en service et commercialisé à travers le monde. Caravelle, avion ambassadeur de la France, allait permettre à l'industrie aéronautique française de se faire connaître et apprécier sur le plan international, Sud-Aviation prenant place dans la cour des grands constructeurs d'avion, Boeing, Douglas, Lockheed...
N'oublions pas que sans Caravelle il n’y aurait pas eu, par la suite, Concorde et Airbus. En 1951, le gouvernement français, via le Secrétariat Général à l'Aviation Civile avait lancé un concours pour la réalisation d'un avion de transport civil multi réacteurs, capable de transporter 80 passagers sur 2400 km et à plus de 600 km/heure.
Le projet de la Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Est (SNCASE) a été retenu. Au départ il s'agissait du XE 210, triréacteur équipé de moteurs français Atar, devenu en final le biréacteur SE 210 avec des Rolls Royce Avon, la pointe avant de l'avion étant empruntée au De Havilland Comet.
Georges Hereil, président de la SNCASE, devenue Sud-Aviation en 1957 (fusion Sud-Est et Ouest-Aviation), a baptisé l'avion “Caravelle” en souvenir de la flotte de Christophe Colomb et en perspective de nouvelles conquêtes.
Dès son premier vol (équipage: P. Nadot, A. Moynet, J. Avril et R. Béteille qui sera par la suite un des pères de l'A300 et un des fondateurs d'Airbus Industrie) l'enthousiasme est général pour cet avion. Appareil d'une conception révolutionnaire dont les innovations feront école: moteur à l'arrière contribuant à la réduction bruit et vibrations en cabine, assurant un profil aérodynamique parfait, groupe de démarrage autonome, escalier arrière escamotable...
Fabrication de l'avion par assemblage final à Toulouse de tronçons provenant des différentes usines du groupe et acheminés par convoi routier.
Rapidement, les autres avionneurs copieront cette disposition des réacteurs: DC 9, TU 134, Mystère 20, Trident, BAC 111, Boeing 727...
Deux prototypes ont été construits pour mettre au point l'avion. L'un d'eux, a été dès le départ peint aux couleurs d'Air France, très impliquée par la mise au point de ce nouvel avion.
Au printemps 1957, il a parcouru les Amériques en vol de démonstration avec un équipage AF (Commandants Lionel Casse et A. Lesieur).
En 1956, AF, Compagnie de lancement, a commandé ferme 12 avions et placé une option sur 12 autres avions, suivie par SAS, Swissair, Varig, Finnair, Alitalia, Sabena, Iberia... le succès de cet avion a été instantané.
Dès son arrivée au pouvoir, le Général de Gaulle a utilisé le prototype peint aux couleurs AF pour ses premiers déplacements, définissant cet appareil comme étant «la rapide, la sûre, la douce Caravelle ».
Les 2 premières Caravelle de série ont été remises à AF début 1959. Une de ces deux Caravelle a été baptisée par Mme de Gaulle le 24 mars 1959 lors d'une cérémonie à la Direction du Matériel AF à Orly nord.
Le même appareil a effectué le 16 avril 1959 une démonstration spectaculaire, réalisant, après un décollage avec un seul moteur, une montée à 13 000 mètres, et ensuite un vol plané de 46 minutes entre Paris et Dijon avec des journalistes à bord, démontrant ainsi la finesse et la stabilité de cet avion au profil aérodynamique exceptionnel lui permettant de planer.
La Caravelle est mise en service au départ de Paris Orly depuis le 5 mai 1959 desservant les escales de Milan, Rome, Athènes et Istanbul. Progressivement le réseau s'est étendu à toute l'Europe et au bassin méditerranéen en remplacement des Vickers Viscount.
Air France recevra jusqu'à 54 Caravelle arborant le nom de provinces françaises, certaines seront par la suite cédées ou louées à Air Inter, Air Charter International et même au GLAM qui récupérera une Caravelle AF en 1963 pour assurer les vols présidentiels.
En février 1960, vague d'enthousiasme, un contrat d'achat de 20 avions a été signé avec la Compagnie américaine United Airlines (UAL), d'autres compagnies sont intéressées dont TWA qui a pris en option 20 avions...
Sud-Aviation passe un contrat avec Douglas chargé de commercialiser aux USA la version américaine “Caravelle Horizon” équipée de moteurs américains Général Electric. En fait, Douglas a gelé le projet, jouant le temps, pour en final annoncer la sortie de son propre avion biréacteur, le Douglas DC 9. Les options américaines sont annulées, les Compagnies US commandent le DC 9 et le Boeing 727.
Caravelle a été aussi le premier avion de ligne au monde autorisé à pratiquer des atterrissages entièrement automatiques et dans des conditions de mauvaise visibilité (approche cat III). André Turcat, futur pilote du Concorde et futur directeur des essais en vol de l'Aérospatiale, a été le maître d'œuvre de ces essais.
Air Inter (IT), en 1967, a choisi Caravelle dans le cadre du développement de son réseau métropolitain. Toute sa flotte sera équipée du système d'atterrissage automatique Sud Lear, spécificité Air Inter, première compagnie au monde à effectuer en vol régulier des atterrissages cat III.
Malgré un succès commercial immédiat, la Caravelle s'est très vite trouvée confrontée aux nouveaux venus DC 9 et Boeing 727 qui ont profité de l'expérience Caravelle, proposant des avions plus performants avec des réacteurs Pratt & Whitney économiques, ayant des soutes d'une capacité d'emport plus importante de bagages, de fret et d'un accès plus facile.
Le lancement de la Caravelle 12 (premier vol en octobre 1970) est arrivé trop tard, malgré l'installation de moteurs JT-8 et de nombreuses améliorations. Le marché avait été pris depuis plusieurs années par Boeing et Douglas. Douze avions seulement seront commandés. En final, 282 Caravelle ont été construites, le dernier avion étant livré en mars 1973.
En fait Sud-Aviation, plutôt que de développer rapidement une version améliorée de la Caravelle et devant les succès des avions moyen-courrier américains, s'est lancé dans le concept d'un moyen courrier supersonique avec une voilure delta révolutionnaire. A la même époque, les Anglais envisageaient un long courrier supersonique. En 1961 suite à la convergence des 2 programmes, un premier accord a été signé entre Sud-Aviation, British Aircraft Corporation, SNECMA, Rolls Royce, pour mettre en commun les études.
En 1962, signature de l'accord gouvernemental et le lancement de Concorde est officialisé. Dès lors toutes les énergies, tous les crédits sont concentrés sur Concorde dont le premier vol a eu lieu le 2 mars 1969 (équipage A. Turcat, J. Guignard, H. Perrier, M. Rétif, tous ayant participé auparavant aux mises au point de Caravelle).
En 1970, H. Ziegler, nouveau président de la Société Nationale Industrielle Aérospatiale, SNIAS, (fusion en 1970 de Nord-Aviation, Sud-Aviation et SEREB) a relancé l'ancien projet de construction européenne d'un avion moyen courrier gros porteur, A 300 (A pour Airbus, 300 pour transporter 300 passagers).
Des pourparlers avaient eu lieu en 1967 avec un protocole d'accord entre les gouvernements français, allemand et anglais concernant ce programme A300, mais suite au retrait des Anglais et aux priorités données au Concorde, ce projet était pratiquement arrêté. Grâce à l'obstination et à la vision d'avenir de H. Ziegler épaulé par R. Beteille, le GIE Airbus Industrie a été créé le 18 décembre 1970.
L'Aérospatiale, fort d'une compétence technique supérieure avec le Concorde et en liaison avec Deutsche Airbus et Hawcker Siddelay, a réalisé dans un délai record de 2 ans, l'A300. Premier vol à Toulouse le 28 octobre 1972 dans l'indifférence totale (équipage B. Ziegler et M. Fischl qui venaient des équipes Concorde). Le premier avion de série est livré à AF le 10 mai 1974 et aussitôt mis en ligne sur Londres dès le 23 mai.
Fort des expériences précédentes, Airbus a proposé très rapidement une famille d'avions complémentaire, basée sur un concept standard commun évolutif (cabine avant, planche de bord, équipements, diamètre fuselage...) facilitant ainsi la maintenance, la formation des équipages. Les modèles vont se succéder par déclinaison, proposant ainsi aux compagnies clientes une gamme de produits variés et adaptés à leurs besoins: A310, A320, A340... et après l'A380... en attendant l'A350... Le carnet de commande d'Airbus Industrie s'est élevé à plus de 5370 appareils de tous types...
A l'origine de cette aventure n'oublions pas Caravelle qui a permis à l'industrie aéronautique française de s'implanter sur le marché international, d'acquérir crédibilité et expérience. Atouts qui seront utiles pour le programme Concorde et confirmés avec le succès technique et commercial de l'Airbus.
Caravelle avec des réacteurs anglais Rolls Royce, la partie avant De Havilland, a marqué aussi le début de l'émergence de l'industrie aéronautique européenne face à la domination des constructeurs américains.
Grâce à Caravelle (exploitée par AF, de mai 1959 à mars 1981), la Compagnie a connu dans les années 1960 une expansion considérable de son réseau moyen courrier. Un an après, la mise en service du B707, premier avion à réaction long-courrier, a permis le développement des lignes intercontinentales, AF ayant ainsi la flotte la plus moderne de l'époque.
(Adaptation d’un article de Bernard Pourchet, publié dans la revue “Présence” nº141 de
Juillet 2005. Archives de Noël Bonnet. Photos de Google).